Christine sait tout faire : les courses, travailler comme secrétaire dans une entreprise, aller déjeuner chez ses parents, s'inscrire dans une auto-école... Comme tout le monde.
Seulement, peut-être avec trop d'application, et sans cette désinvolture qu'on apparemment les autres quand, à la caisse d'un supermarché, ils zappent de la promotion professionnelle d'un ami à la nouvelle Xsara, en se mettant à parler en même temps à la caissière de la qualité des prestations.
Cette gymnastique éblouit Christine. Comment les autres arrivent-ils ainsi à faire coexister ici, là bas, l'été dernier et aujourd'hui, un regret, une satisfaction, une aigreur à l'estomac, une traîte de bagnole ? C'est tout un carroussel d'affects dont elle se sent exclue. Les autres savent être avec les autres même si ces autres leurs inspirent parfois des contrariétés. Les conflits qu'ils rencontrent ne les empêchent pas de se glisser dans les lits où leurs conjoints les attendent. Mieux, ils savent quitter ces lits pour aller travailler.
Les autres sont adaptés au monde, elle, non. Car au fond d'elle-même, elle sait qu'elle pourrait passer tous les permis du monde qu'aucun ne lui délivrerait cette allure naturelle qu'ils ont dans les allées de la vie.
C'est pourquoi quand, d'intérim en intérim, elle repasse devant cette femme, Patricia, qui lui parle gentiment, quelque chose semble enfin possible. Christine s'attache à Patricia. Un lien se crée. C'est difficile à entretenir un lien, mais tout d'un coup le monde semble moins somnambulique.
Mais si Patricia est comme ça, avenante, attachante, c'est qu'elle a tout ce qui permet de l'être. Patricia a un mari, des enfants, des soucis qui on trait au fait d'avoir un mari, des enfants, enfin toutes choses qui vous font, sinon négliger, du moins ne pas tenir l'amitié sur un plan aussi sacré que Christine. Christine ressent tout éloignement comme une trahison.
Mais ce qu'ignore Christine, c'est qu'une amie, c'est surtout quelqu'un qui attend que vous alliez mal pour venir à votre secours.
Patricia, un midi, inquiète, "coupable", vient prendre des nouvelles de Christine. Elle arrive toute nimbée du dehors et l'invite à la piscine. La piscine, c'est le baptême de Christine. Christine va être immergée dans ce monde. Ce que ne sait pas Patricia, c'est que de porter Christine ainsi sur les fonds baptismaux de la vie, l'en fera, elle, sortir. Christine tue Patricia. Ce meurtre constituera l'entrée dans le monde, de Christine, que ses collègues adouberont immédiatement dans une brasserie en entonnant : "Elle est des nôtres !"...