Unique Française à participer à cet événement organisé au sein du Festival de Toronto, Joan Chemla revient sur cette expérience forte dans la vie d'une jeune réalisatrice.
Depuis 11 ans, le TIFF (Festival international du film de Toronto) organise le Talent Lab, un séminaire intensif d'une semaine permettant à de jeunes réalisateurs internationaux d'approfondir leur relation au cinéma en confrontant quotidiennement leur expérience avec celle de personnalités reconnues et renommées.
Joan Chemla était la seule Française retenue cette année et Unifrance a apporté son soutien pour son voyage. Elle nous fait part de cette expérience.
"Cette année, j'ai eu la chance de participer à une université d'été hors pair : le Toronto Talent Lab. Composé de 10 réalisateurs internationaux et de 10 réalisateurs canadiens choisis parmi 3000 candidatures à travers le monde, le Talent lab aiguise les compétences et la confiance d'une nouvelle génération de cinéastes à travers des discussions de groupe axées sur la dimension artistique du cinéma. Les "governors" qui encadraient le Lab 2014 étaient Claire Denis, Jim Stark, Sandra Oh. Le Talent Lab a été peuplé de moments inoubliables, et l'un d'entre eux fut sans aucun doute la conversation de cinq heures avec le géant Mike Leigh. M. Leigh est un homme d'esprit étonnant au charme irrévérencieux, et sa pensée est aiguisée comme la lame d'un rasoir. Il a généreusement partagé sa méthode de travail à partir de fondements philosophiques et tangibles, et d'instructions pratiques.
En voici quelques-uns :
- Toujours avoir son film en tête. Il peut changer, grandir, aller dans tout les sens, mais ne peut être quelque chose de concret et de statique. Il doit rester en mouvement.
- Au sujet de la performance de l’acteur, le but est de capturer quelque chose qui vit, et non quelque chose qui prétend être réel.
- Si un film ne fonctionne pas, c'est parce que trop peu de temps a été alloué aux choses essentielles, comme les répétitions et la préparation.
- Ne jamais faire de compromis à propos de ce à quoi le film a trait.
- La vie m'inspire.
L'intervention du prolifique producteur Jim Stark, qui a notamment produit Jim Jarmusch, a conduit à la question importante : "avec quel type de producteur voulez-vous travailler ? Cherchez-vous un 'yes-man/woman' qui ira juste chercher des fonds et vous laissera faire ce que vous voulez pour le meilleur comme pour le pire, ou voulez-vous un producteur qui vous poussera à élaborer une histoire fascinante et qui sera plus susceptible de vous dire non de temps en temps, dans l'intérêt de faire un grand film ?" Question essentielle qui a fait sourire nombreux d'entre nous.
Il y eut aussi le cours de Darren Aronofsky, animé par Ramin Bahrani. Après avoir parlé de Black Swan, Aronofsky a évoqué la fragilité de la relation entre le réalisateur et les acteurs, qui sont "les personnes les plus vulnérables émotionnellement sur le plateau" . Pour citer le réalisateur new-yorkais : "Les acteurs veulent jouer - c'est pour cela qu'ils vivent. Mais ils ont été abimés - par des metteurs en scène de moindre importance que vous. Il est de votre devoir de vous assurer que vous permettez à ces fleurs de s'épanouir."
A ce sujet, Juliette Binoche est venue nous parler de la façon dont elle a développé son art, du courage nécessaire pour trouver la vérité dans ses rôles et de son respect pour les metteurs en scène. Elle évoque notamment son choix de travailler sur des premiers ou seconds longs métrages, choix qu'elle fonde sur le mérite du réalisateur et son talent, plutôt que sur son expérience.
Chaque intervenant a parlé ouvertement et franchement de son travail, ainsi que de son processus créatif. Indépendamment de l'échelle ou de votre stature, le cinéma sera toujours un combat. Un message clair se dessine : relever le défi et continuer à faire des films avec passion, investissement et authenticité.
Merci au TIFF, à Helen Du Toit, à Jim Stark et à Unifrance de m'avoir permis de participer à cette expérience unique."