Agnès Varda revient à New York – elle connaît bien les Etats-Unis pour y avoir vécu deux fois deux ans et demi – pour une exposition de ses œuvres, photos et installations, à la galerie Blum & Poe. Elle en a profité pour rendre visite aux Rendez-Vous With French Cinema, pour donner une masterclass, et pour promener sa légende tranquille dans une ville où de nombreuses personnes, souvent jeunes, se retournent toujours sur son passage.
Quel est votre premier souvenir de New York ?
C'est toujours comme cinéaste que je suis venue, et c'est donc au moment de la présentation de Cléo de 5 à 7, ça devait être en 1962. Je ne parlais pas un mot d'anglais, donc ça a été assez court, si j'ose dire, mais je me souviens tout de suite d'être allée découvrir les musées, qui étaient mes premières préoccupations. Même sans parler anglais, la peinture, ça se comprend ! Je suis revenue pour Le Bonheur, trois ans après, ne parlant toujours pas anglais. Je me souviens surtout de ma réception à Los Angeles. Un labo avait organisé un déjeuner pour louer la beauté plastique du film ! J'ai finalement appris à parler l'anglais en 1968 quand nous sommes venus à Los Angeles avec Jacques [Demy] où il préparait Model Shop, et où moi je m'intéressais aux Black Panthers. Je connais de fait moins New York que Los Angeles, mais on y a toujours montré mes films, notamment au New York Film Festival. Je me souviens l'avoir ouvert avec L'Une chante, l'autre pas, et j'ai vu arriver Woody Allen dans la salle...
Quels sont vos films les plus aimés aux Etats-Unis ?
Cléo a tout de suite fait beaucoup de remous, les universités s'en sont emparées. Un autre qui a été beaucoup étudié, c'est Daguerréotypes. Un jour, j'ai été invitée par trois département d'une fac américaine en même temps pour ce film : sociologie, documentaire, et Women's Studies ! Je suis allée dans énormément d'universités américaines pour mes films, puis pour mes installations. D'un point de vue commercial, Sans toit ni loi est sorti aux Etats-Unis sous le titre Vagabond et a bien marché, puis Sony Classics a distribué Jacquot de Nantes, qu'ils ont intitulé Jacquot. Ce sont les deux films qui ont fait un peu plus de bruit dans les salles commerciales.
J'ai toujours connu aux Etats-Unis des succès très particuliers. Par exemple, Les Glaneurs et la glaneuse, qui est documentaire discret, est adoré ici, il est resté 17 semaines d'affilée au Film Forum, qui est une petite salle Downtown. Typiquement, si un film fait 17 semaines au Forum, c'est que tous les gens qui peuvent aimer le cinéma sont allés le voir ! J'ai une espèce de "gloire marginale" mais je ne m'en plains pas.
Comment définiriez-vous le concept de votre expo chez Blum & Poe, que vous avez inaugurée il y a quelques jours ?
Il y a trois autoportraits de moi : 20 ans, 40 ans, 80 ans, et je pense que ça les a amusés de se mettre aux deux extrémités de mon travail. Le premier, qui précède même mon premier film, date de juin 1954, j'avais monté une expo photo dans la cour de ma maison rue Daguerre, sur les murs, les volets, et c'était resté là pendant 15 jours, même la nuit. Je ne connaissais alors personne dans le milieu des arts. Mes visiteurs étaient des voisins. J'ai tout rangé dans une grande boîte, et j'ai tout oublié jusqu'à il y a 4 ou 5 ans. J'ai réouvert les boîtes en faisant du rangement, ce qui arrive. Une galerie les a exposées, et ces photos ont retrouvé une nouvelle vie. Blum & Poe a voulu les exposer en les mettant à côté d'œuvres plus récentes, comme "Bord de mer" ou le triptyque de Noirmoutier. Comme le MoMA a acheté le tryptique, pour eux c'est certainement valorisant ! Leur proposition "à travers le temps" m'a plu.