Trần Anh Hùng présentera demain Éternité au public du Festival du film français au Japon, devant un public qui lui est en grande partie acquis, fort d'une notoriété mondiale depuis son tout premier film, L'Odeur de la papaye verte, en 1993.
Quel est le rapport de votre cinéma avec le Japon ? Y est-il compris différemment qu'en France, en Europe, ou ailleurs dans la monde ?
Oui, il me semble qu'ils jouissent ici d'une compréhension particulière. Mais pour savoir exactement ce que les Japonais comprennent, il faut d'abord comprendre les Japonais. Et ça, ce n'est pas tellement facile parce qu'ils s'expriment très peu. A chaque fois que je viens ici – et je suis beaucoup venu – je leur pose un certain nombre de questions, mais je n'obtiens jamais de réponse précise. Par exemple, quand j'ai tourné Norwegian Wood, ici au Japon, je leur demandais s'ils ressentaient de l'étrangeté au fait de voir un non-Japonais, qui ne comprend pas la langue, parler du Japon. De mon côté tout allait très bien, j'avais mes repères, mes eux alors ? Jamais je n'ai eu de réponse précise. En revanche je suis sûr de l'impact des films dans la mesure où les gens se souviennent vraiment de moi, et quand ils parlent de mes films, c'est toujours avec précision, sur le fait qu'ils sont vraiment touchés, qu'ils les portent dans leur cœur.
Est-ce que les Japonais vous considèrent d'abord comme un réalisateur français ou comme un réalisateur asiatique ?
C'est justement une question qu'ils me posent, mais en me demandant comment moi je me perçois moi-même. Je réponds toujours que je suis juste le réalisateur Trần Anh Hùng, c'est-à-dire que je fais des films qui me ressemblent, qui ressemblent à quelqu'un né vietnamien, qui a grandi en France, et qui a à sa disposition toute la nourriture intellectuelle du monde. Le cinéma reste un langage universel, que je travaille au Japon, en France ou à Hong Kong comme pour I Come with the Rain. Ce qui est bien au Japon, c'est que les Japonais sont très attentifs, travaillent beaucoup et préparent tout. Rien n'est jamais improvisé... mais je parviens toujours à les amener sur ce terrain de l'improvisation. Ce qui les perturbe beaucoup au départ ! Mais ils s'adaptent, et tout se passe très bien.
Pensez-vous que le public japonais va percevoir l'universalité d'Éternité, qui est en apparence un film très français, sinon très européen ?
J'ai vu une vingtaine de journalistes depuis mon arrivée au festival, dans le cadre de la promotion du film, qui sortira en septembre dans dix salles à Tokyo, ce qui est beaucoup. Il y a au moins deux journalistes qui m'ont dit qu'Éternité était très japonais, et qui s'étonnent même que le film puisse avoir du succès ailleurs qu'au Japon ! Pour eux, le fait qu'il s'agisse d'un film où tout n'est pas exprimé, dans lequel il y a beaucoup de place pour l'interprétation du spectateur lui-même, cela leur paraît très japonais. On m'a même dit que c'était un film bouddhiste, malgré tout le poids de la religion chrétienne qui sous-tend l'histoire de cette famille... De fait, le distributeur du film, avec qui je travaille pour la première fois, a un sentiment très positif et a beaucoup d'attente sur le succès du film qui a été acheté sur scénario, comme ça avait déjà été le cas dès Cyclo. Tous mes films sont toujours sortis ici, et je ressens toujours cette attente du public japonais.