Noriko Tezuka est le relais d'Unifrance au Japon. En tant que chargée des études et marchés, elle s'occupe de la veille économique autour du cinéma français dans l'archipel, et a une vision globale de ce qu'il représente pour les Japonais au quotidien, au-delà de l'éternelle mythologie de la Nouvelle Vague.
Distribuer un film français au Japon est-il forcément un pari économique pour un distributeur ?
Tout dépend du film. Par exemple, tous les films de cette édition du Festival du film français au Japon correspondent assez bien à ce que peut attendre et aimer le public japonais : Sage Femme, Rodin, Cézanne et moi, Éternité, Mal de pierres sont des films plutôt classiques, qui vont parler au premier public du cinéma français au Japon : plutôt des femmes, et plutôt relativement âgées. Quand un distributeur sort un tel film, il ne pense pas prendre un risque, il a déjà une idée assez précise des chiffres qu'il souhaite atteindre. Réparer les vivants, par contraste, est peut-être plus risqué, car le public visé est plus jeune, il est peut-être un peu moins identifié. Pour un distributeur japonais, faire 50.000 entrées avec un film français, c'est un très gros succès. Et plus un film fait d'entrées à Tokyo, où il sort d'abord, plus il a de chances de toucher les autres grandes villes du pays, comme Kyoto ou Osaka.
Y a-t-il une vie après les salles pour le cinéma français au Japon ?
Les plateformes VoD prennent des films, mais uniquement pour enrichir leurs catalogues. Les distributeurs japonais n'attendent aucune recette de cette exposition, il n'y a aucun MG. Evidemment, je ne parle pas de films comme Lucy... Ce qui marche, par contre, en VoD, et qui peut générer des remontées financières, ce sont des formats plus courts comme les séries, ou même les clips.
N'y a-t-il pas de rajeunissement possible du public des salles pour le cinéma français ?
Les distributeurs ne veulent pas prendre beaucoup de risques, et on ne peut pas attendre trop d'efforts de leur part en dehors des films qui ont déjà leur public quasi assuré. Mais certaines prises de risques ont payé. Quand Uplink a sorti Evolution de Lucile Hadzihalilovic, personne n'aurait pensé qu'il allait faire 14.000 entrées. On aurait plutôt misé sur 3.000. C'est intéressant de constater que la séance de Grave du festival a été complète dès le premier weekend de mise en vente. Il y a donc une niche qu'il faudrait que les distributeurs explorent mieux. Pour revenir à Réparer les vivants, le public de la séance du festival était composé à 70% de jeunes, c'est un signal qui nous dit que nous devons continuer à montrer ce genre de films, et que les objectifs de la sortie salle pourront sans doute être atteints. UniFrance devrait pouvoir rassurer les distributeurs, et les pousser à prendre sereinement le risque de ce genre de sorties. Le Festival est extrêmement important en ce sens. La directrice de Cine Switch, une salle de Ginza qui passe beaucoup de films français, me disait que le festival était un moment d'exposition très rare et unique pour le cinéma français au Japon et m'a cité un triste exemple, en contraste, avec l'arrêt quasi complet du Festival de cinéma allemand après le tremblement de terre de 2011 : depuis, le nombre de films allemands sortis au Japon a diminué de manière drastique. Aujourd'hui, le cinéma français au Japon, c'est une cinquantaine de films par an, et pour maintenir ce chiffre et garder la diversité, le Festival du film français au Japon joue un rôle très important.