Aliza Ma est directrice de la programmation du Metrograph, cinéma d'Art et Essai new-yorkais ouvert en 2016, qui fait cohabiter cinéma de répertoire et cinéma contemporain dans une immense ferveur cinéphilique. Le Metrograph entame actuellement une nouvelle phase de son existence en devenant distributeur, et c'est Le Concours de Claire Simon, sorti le 22 février, qui inaugurait ce nouvel axe d'activités.
Quelle est la philosophie générale de The Metrograph, qui est un lieu totalement unique à New York ?
C'est parti avant tout d'un désir d'exprimer notre cinéphilie d'une manière plus personnelle qu'institutionnelle, les institutions ne manquant pas à New York. Nous avions également l'envie de montrer le plus de films possible dans leur format de sortie d'origine – 35 mm, 16 mm – et de porter l'attention non seulement sur les films, mais aussi sur ceux qui les font. Nous voulions une programmation qui soit "organique", qui vienne des tripes, et non pas dictée par des impératifs, par des cases à cocher. Cette volonté de montrer le plus de films possible, même hors numérique, a généré une petite vague dans le monde du cinéma de répertoire : montrer Le Troisième Homme sur copie 35 n'empêche pas que la salle soit pleine, et l'émotion est différente. Nous avons conscience que c'est une expérience désormais unique pour les spectateurs, car cette émotion-là, on ne peut en aucun cas la ressentir chez soi.
Le cinéma français trouve-t-il sa place dans votre programmation ?
Totalement. Ce soir, nous avons organisé une soirée autour de Michel Legrand, parce qu'il est pour nous une figure essentielle, comme un parrain invisible du lieu. Il fallait trouver un moyen de lui rendre hommage, ainsi qu'à notre cinéma étranger préféré qui est le cinéma français. Jake Perlin [directeur artistique] et moi-même, bien que de cultures très différentes, sommes tous les deux des adorateurs de Jean Eustache. Eustache nous a réunis ! Eustache lui-même était un assidu de la Cinémathèque, il disait que son cinéma était un enfant de la Cinémathèque. Notre programmation est à son tour un enfant de la Cinémathèque, c'est une manière de lui payer notre dû. Le Metrograph doit beaucoup au cinéma français, qui a imprimé une marque indélébile au 7e Art. Nous tenions, dès le début de l'aventure du Metrograph, à ne pas nous limiter aux courants ou aux auteurs unanimement passés à la postérité, comme la Nouvelle Vague, nous voulions aussi montrer des faces plus cachées. La toute première rétrospective que nous avons jamais organisée a été pour Eustache, et nous avons eu la chance de recevoir Françoise Lebrun grâce à la collaboration d'UniFrance et de l'Ambassade. Cela a donné le ton de ce que l'on souhaitait pour ce lieu. Nous n'avons plus jamais arrêté de programmer du cinéma français depuis.
Ce n'est donc pas une surprise que Le Concours de Claire Simon soit le premier film que The Metrograph sorte en tant que distributeur...
C'est parti du fait que certains distributeurs que nous souhaitions voir acquérir des films qu'on avait aimés en festivals nous disaient qu'ils ne l'achèteraient qu'en ayant la certitude que nous allions les programmer. Pour eux, une sortie à New York est la garantie d'une couverture presse qui prépare le reste du pays. Nous avons compris que nous avions sans doute une carte à jouer dans le processus de distribution, mais cela nous a pris du temps à savoir comment exactement, et avec quels films. Claire Simon est une figure fascinante du cinéma international contemporain. C'est une autodidacte, elle a étudié l'ethnologie, Jean Rouch était son mentor, tout cela nous parle beaucoup ! Dans ses documentaires, elle filme ses sujets comme des objets d'étude, mais aussi avec un regard poétique qui n'appartient qu'à elle. Le Concours est sa réponse à la fois à l'histoire et au futur de la culture cinématographique. Elle y soulève également la question des classes sociales, et de la compétition humaine. C'est un grand film fait par quelqu'un que nous respectons énormément. C'était le film idéal pour nous lancer.