Le Président d'UniFrance rend hommage à Jean-Paul Belmondo, immense star du cinéma français qui s'est éteint ce 6 septembre 2021 à l'âge de 88 ans.
Pour les uns, c’était Monsieur Belmondo, pour les autres tout simplement « Bébel ».
Il aura magistralement incarné le cinéma français, un grand pan du cinéma français, celui de la comédie et du film d’aventure, durant un demi-siècle. Avec gourmandise et désinvolture. En donnant le sentiment que c’était facile pour lui, en masquant le travail. Une carrière rapide et boulimique, devenant la coqueluche de cinéastes comme Chabrol, De Broca, Sautet, Melville, Malle, Verneuil, Truffaut, Lelouch, Deray, Rappeneau, Resnais, Oury, entre autres, s’imposant illico en Italie avec Alberto Lattuada et Vittorio De Sica.
Rien ne pouvait lui arriver de grave tant il semblait puissant et virevoltant, jouant sur les crêtes – une scène fameuse du Casse de Henri Verneuil, où il prenait tous les risques, s’amusant "à faire l’acteur" : ça marchait et le public en redemandait. Comme s’il prenait sa revanche, longtemps après avoir été si peu et si mal considéré au Conservatoire, où un obscur professeur s’était montré incapable de reconnaître en lui un talent en germe. Un immense talent. Et un éternel sourire aux lèvres.
Il aura fallu qu’un homme de trente ans, inconnu, mal rasé et portant des lunettes noires lui tourne autour, devant le Drugstore de Saint-Germain-des-Prés, l’aborde et lui propose un rôle : celui de Michel Poiccard dans À bout de souffle, pour que Belmondo, l’immense Belmondo, se révèle au public. Cet inconnu se nommait Jean-Luc Godard. Nous sommes en 1960, Belmondo est âgé de vingt-sept ans. La légende dit aussi que l’acteur lui-même ne croyait pas au film, tant il était conçu et réalisé en dehors des clous, comme un film qui ne respecterait aucune des règles classiques du cinéma et de sa grammaire. À bout de souffle bouscula le cinéma français. En fait, il bouscula le cinéma tout court. L’acteur descendait les Champs-Elysées, clope au bec et chapeau sur le crâne, aux côtés de Jean Seberg, splendide créature habillée d’un tee-shirt et d’un pantalon court, en train de vendre à la criée le "New York Herald Tribune". Ces images ont fait le tour du monde, avec un Jean-Paul Belmondo incarnant la nouveauté et la modernité, l’insolence et la désinvolture. Mais il dégageait aussi une forme de spleen contemporain dans un polar pas comme les autres. Tout le monde se souvient de la fin tragique de Michel Poiccard, trahi par celle qu’il aime, abattu par les flics rue Campagne-Première. Dégueulasse.
On ne dira jamais assez combien cette allure et cette gestuelle auront influencé les acteurs du cinéma américain – il y a un avant et un après À bout de souffle. Le cinéma s’est engouffré dans la brèche, tous les cinéastes ont fait appel à Belmondo, il apportait avec lui une manière de jouer, de courir, de s’amuser, qui dégageait un parfum de liberté. Avec Godard encore, deux films : Une femme est une femme, et un chef d’oeuvre : Pierrot le fou. Avec Melville : Léon Morin, prêtre (où il est excelle), Le Doulos et L'Aîné des Ferchaux. Avec Philippe De Broca, des comédies pétaradantes comme Cartouche, L'Homme de Rio, Les Tribulations d'un Chinois en Chine ou encore Le Magnifique. Avec Truffaut, La Sirène du Mississipi. Avec Resnais, Stavisky.... Avec Oury, L'As des as. Avec Malle, Le Voleur. Avec Rappeneau, Les Mariés de l'an II. Avec Lelouch, Un homme qui me plaît, Itinéraire d'un enfant gâté, Les Misérables. Etc., etc. Une carrière remplie qui, vers le milieu des années 70, bascule presque exclusivement du côté des polars et films d’aventure, comme Le Guignolo, Le Corps de mon ennemi, sans oublier Le Marginal, délaissant le cinéma d’auteur. L’acteur avait ses raisons, et le public continuait de le suivre. Mais il n’a jamais oublié d’où il venait, ni ce qu’il devait à ceux qui, comme Godard, Chabrol ou Melville, avaient décelé en lui un immense talent.
Le cinéma français est aujourd’hui orphelin, ressentant une immense tristesse de perdre un homme qui, durant toute sa carrière d’acteur, aura transmis avec le sourire une si belle énergie à des millions de spectateurs dans le monde entier.
Serge Toubiana, Président d'UniFrance