Le 11 février 2003, en plein Festival du film de Berlin, s’éteignait subitement Daniel Toscan du Plantier. Mais « s’éteindre » n’est pas le bon mot. Alors que nous approchons des 20 ans de sa disparition, Unifrance célèbre les 25 ans des Rendez-vous d'Unifrance à Paris, qu’il avait créés. Cet événement, et bien d’autres, comme son aura toujours présente, nous prouvent combien son influence est encore grande. Pour lui rendre hommage, Unifrance a choisi de lui dédier l’édition 2023 de ces Rendez-vous, et d’inviter dans ce cahier différentes personnalités à témoigner du lien qui les rattache encore à lui.
Trois questions à Serge Toubiana, président d’Unifrance
Quel est pour vous l’apport essentiel de Daniel Toscan du Plantier au rayonnement du cinéma français ?
Daniel Toscan du Plantier a toujours eu l’ambition d’élargir l’horizon du cinéma français à l’international. Durant ses années à la tête de la Gaumont, dans les années 1970 et 1980, il développa, avec l’aval et la complicité de Nicolas Seydoux, son patron et son ami, deux projets ambitieux : celui d’implanter Gaumont en Italie et au Brésil. Ces deux tentatives furent des échecs, pour des raisons complexes, mais l’idée avait du panache : faire de Gaumont une entreprise « mondialisée », à même de valoriser des auteurs français et internationaux partout dans le monde et d’ouvrir des salles de cinéma à Rome, Milan, Rio de Janeiro ou Sao Paulo, en faisant ainsi une « marque monde ».
Il avait aussi eu l’intuition de fonder une alliance avec Dan Talbot, distributeur américain de films d’auteurs (Truffaut, Fellini, Bergman, Kurosawa…) et propriétaire des Lincoln Plaza, salles d’art et essai situées en plein cœur de Manhattan.
Daniel Toscan du Plantier avait cette ambition, fondée sur une vision et une volonté d’offrir aux films qu’il aimait, produisait ou distribuait, la plus forte visibilité dans les salles du monde entier.
Il était somme toute logique qu’il devint président d’Unifrance, après ses années Gaumont (1975-1985), puis ses années Erato durant lesquelles il produisit tant de films, tant de cinéastes français (Maurice Pialat bien sûr, mais bien d’autres encore…), ou venus d’ailleurs. À Unifrance, il put donner libre cours à son ambition d'élargir l'horizon du cinéma français, de faire voyager films et talents, de planter le drapeau du cinéma d’auteur partout dans le monde. Il avait quelque chose d’un ambassadeur, d’un chef d’État imaginaire, traitant d’égal à égal avec les puissants du cinéma partout dans le monde. Il leur parlait la « langue » du cinéma, qu’il plaçait au-dessus de tout, s’engageant dans les combats pour l’exception culturelle, entraînant avec lui les réalisateurs, les actrices et les acteurs, créant ici ou là des festivals (Sarasota, Yokohama, Acapulco, etc.)
Que souhaiteriez-vous que l’on transmette de son héritage à la nouvelle génération ?
Cette nécessité pour le cinéma français de dépasser les frontières, d’avoir une vision et une ambition, pour séduire les spectateurs du monde entier. Il savait faire parce qu’il y croyait, avec passion.
Quelle réalisation vous a le plus marqué ?
Outre les festivals qu’il a créés ou impulsés, c’est à lui que nous devons les Rendez-vous d'Unifrance à Paris, où sont conviés, chaque année en janvier, des acheteurs de films français venus de toute l’Europe. Ces Rendez-vous, qui connaissent un vrai succès malgré l’arrêt de deux ans dû à la pandémie, vont repartir de plus belle en janvier 2023. C’est à Daniel Toscan du Plantier que nous les devons. Et c’est d’ailleurs à lui qu’Unifrance les dédie cette année.
Margaret Menegoz
Productrice, présidente d’Unifrance de 2003 à 2009
« Ce qui me liait à Daniel Toscan du Plantier, ce sont les films : nous aimions les mêmes, et il appréciait ceux que je produisais. C’est pourquoi on m’a proposé de « faire l’intérim » à la présidence d’Unifrance à sa disparition, un intérim qui a finalement duré plusieurs années.
On lui doit le rayonnement du cinéma français. Avant lui, Unifrance était un petit club de producteurs, lui a ouvert notre cinéma sur l’étranger et l’a fait briller.
Toscan avait un amour quasi exclusif des artistes. Il aimait être proche d’eux et il aimait les faire briller. Quand j’ai pris sa suite, j’ai donné une orientation plus « business » à Unifrance, en redonnant de la place et de la visibilité aux producteurs, aux distributeurs et aux autres professionnels : avec lui, seuls les artistes montaient sur scène, par exemple. Il faut en réalité un mélange des deux ; il faut beaucoup s’occuper des artistes, et beaucoup s’occuper des affaires. »
Jacques Toubon
Ancien ministre de la Culture et de la Francophonie
« Représentant de l’industrie cinématographique française et européenne, inspirateur d’un imaginaire et d’une esthétique qui ont fait triompher notre cinéma et les cinéastes, porte-parole sans égal de l’esprit français du 7e art, sans conteste, Daniel Toscan du Plantier le fut, avec panache et efficacité.
Je chérirai cependant, parmi tous mes souvenirs de lui, ceux qui ont trait à notre combat politique commun, celui de l’exception culturelle, au centre de laquelle est notre politique du cinéma.
Si nous avons emporté la bataille contre Hollywood et contre les Européens férus de libre-échange plus que de culture, nous le devons aux hommes et aux femmes, en particulier de la profession, qui ont compris et démontré que l’exception culturelle était non pas une démarche identitaire mais l’instrument de la promotion des valeurs universelles d’une culture européenne dont Daniel Toscan du Plantier était un parfait représentant. »
Jean-Paul Salomé
Cinéaste, président d’Unifrance de 2012 à 2017
« J’ai eu la chance de rencontrer Daniel alors que j’étais un jeune cinéaste. Il avait sélectionné mon deuxième film (Restons groupés) pour le Festival du Film Français à Acapulco, ma première expérience avec Unifrance. J’y ai découvert sa faculté unique de mélanger les différentes familles du cinéma en faisant éclater les chapelles. Cette démarche m’avait beaucoup touché. De son côté, il avait apprécié que je sache prendre la parole en public, et m’a donc ensuite invité dans d’autres festivals. Sa rencontre a été déterminante dans mon envie, des années plus tard, de postuler pour la présidence d’Unifrance.
Pendant mes deux mandats, j’ai veillé à perpétuer sa vision et son état d’esprit. J’étais le premier cinéaste à tenir ce rôle, et j’ai mené ma mission en chef d’équipe soucieux que tout le monde trouve sa place. C’était ma manière de mettre mes pas dans les siens, avec cette volonté de fédérer, de passer outre les différences entre cinéma d’auteur et cinéma commercial et de montrer toute la diversité et la richesse de notre cinéma.
Daniel était un grand communicant, un « showman » qui projetait une image positive du cinéma français et savait donner envie. Ce rôle que joue Unifrance, soutenu par la qualité des films, est ce que les étrangers nous envient. Pour moi, c’est ce que l’on doit garder de lui et cultiver : donner aux artistes l’envie d’être ensemble au-delà des rivalités.
Comme beaucoup, j’ai été très touché par sa disparition précoce. C’était une personnalité rare, par sa générosité, son enthousiasme et sa clairvoyance. Il était tourné vers l’avenir, précurseur. Nous n’étions pas de la même génération, ni intimes, mais je me suis toujours senti à l’aise avec lui : il était sincère dans son ouverture aux autres. Faire partie de ses successeurs a été une fierté et un honneur. »
Marc Tessier
Président de Film France - CNC, ancien directeur général du CNC, ancien président de France Télévisions
« Évoquer le souvenir de Daniel Toscan du Plantier en quelques lignes est un tour de force qui ne peut que réduire la dimension de sa personnalité hors du commun. J’ai connu l’homme de grande culture, l’ami de mes plus belles aventures au CNC puis à France Télévisions, celui du soutien aux artistes comme producteur et président d’Unifrance, le visionnaire qui a su s’imposer comme l’ambassadeur du cinéma français.
Daniel répondait toujours présent lorsqu’il était exposé à un défi en apparence insurmontable. Il en prenait d’emblée la mesure. Et il aimait le combat.
J’ai eu le bonheur de l’accompagner dans des voyages à l’étranger dans la plus grande gaieté mais à la limite de l’épuisement. Quelle belle image donnait-il du cinéma français ! Sa disparition subite a laissé nombre de grands créateurs orphelins. Qu’il s’agisse de Canal+ à son lancement, des opéras qu’il a produits, des rencontres internationales qu’il a su concevoir, des amis qu’il a réunis, chaque événement garde sa marque pour longtemps. »
Danièle Thompson
Réalisatrice
« Un regard aigue-marine.
Un regard aigue-marine, une moustache de mousquetaire, la voix chaude, un phrasé conquérant et définitif teinté d’humour toujours, une présence régalienne et pourtant un abord accessible grâce à un sourire désarmant, c’est l’image qui me reste de notre première rencontre en 1975. C’était sur le tournage de Cousin cousine, son premier film, avec son premier amour la délicieuse Marie-Christine.
Quelque temps plus tard, un dîner au casting improbable nous réunissait chez mon père avec Romain Gary. La soirée reste inoubliable. Et tous les moments partagés ensuite avec Daniel aussi : voyages au bout du monde dans le cadre d’Unifrance, début de l’aventure des César, etc.
Sa personnalité lumineuse donnait l’impression que rien ni personne ne pouvait l’arrêter : de parler, d’agir, de se battre, de séduire, de se lancer dans les projets les plus inattendus, les plus audacieux. L’impression aussi qu’il nageait plus voluptueusement dans des eaux agitées par des vents contraires.
Son goût et son goût de l’aventure, du risque, sa curiosité, sa culture, sa joie de vivre, sa passion pour le cinéma, pour les voyages, pour les rencontres, pour les artistes dans la lumière, mais surtout pour ceux dans l’ombre qu’il entraînait vers le soleil, font de lui un des hommes les plus singuliers et les plus séduisants de notre génération.
Tous les instants de son parcours personnel et professionnel, les deux intimement liés, ont été marqués par de grands bonheurs, des succès magnifiques, des échecs aussi, bien sûr, et de grandes tragédies. Plusieurs chapitres de sa vie romanesque pourraient inspirer les scénarios de films qu’il aurait aimé produire.
Un dernier dîner nous réunit en janvier 2003 avec son dernier amour, Melita, qui l’avait emmené sur le chemin d’un nouveau bonheur. Daniel était très affecté par la disparition de son ami Maurice Pialat. Ce soir-là, son regard bleu n’arrivait pas à cacher sa tristesse. Et pourtant, il nous a fait beaucoup rire… »
Pascal Rogard
Directeur général de la SACD
« Par le cinéma. Pour le cinéma. Le 7e art aura accompagné toute la vie de Daniel Toscan du Plantier, jusqu’à sa mort en plein cœur du festival du film de Berlin, un jour triste de 2003.
Daniel Toscan du Plantier était évidemment le producteur de tant de grands noms du cinéma, Joseph Losey, Robert Bresson, Federico Fellini, Maurice Pialat, Peter Greenaway et d’autres encore. Il trouvait toute sa place dans ce temps révolu des "nababs" du cinéma. Mais si producteur était son métier, faire rayonner le cinéma français était sa passion. Son sacerdoce, même, pour tous ceux qui l’ont vu arpenter les festivals aux quatre coins du monde, du Japon aux Etats-Unis, du Mexique au Maroc !
Président d’Unifrance, il aura mis toute son énergie, son élégance et sa verve à se faire l’ambassadeur et le porte-étendard du cinéma français, sans jamais abdiquer sa curiosité à l’égard du cinéma mondial. 20 ans après sa mort, son engagement est un héritage précieux qu’il nous faut savoir cultiver, et son enthousiasme à porter haut et partout les couleurs d’un cinéma français pluriel et bien vivant une valeur à partager. »
Philippe Carcassonne
Producteur
« Toscan, ou l’art du paradoxe apparent.
Il consacra ses quinze dernières années à défendre le cinéma français à l’étranger, mais il avait commencé sa carrière en défendant le meilleur du cinéma étranger en France... Sans doute avait-il compris qu’associer la France aux grands noms du cinéma mondial était déjà une façon de promouvoir le cinéma français.
Il parcourait sans relâche les allées du pouvoir, mais il construisait la politique d’Unifrance dans un esprit d’indépendance totale. Paraphrasant son idole Rossellini, il disait : « Les puissants dont on ne peut se débarrasser, il faut les emmerder d’amour… ».
Il incarnait l’essence de la légèreté, de la fantaisie, mais il travaillait avec le plus grand sérieux à consolider l’édifice culturel de notre cinéma. En public, il plaisantait sur les films puis… entre quatre yeux : « Quels territoires vous restent-ils à vendre ? Comment puis-je vous aider ? »
Nous serions bien inspirés de méditer aujourd’hui les vérités cachées derrière les "apparents paradoxes" de Daniel Toscan du Plantier. »
Éric et Nicolas Altmayer
Producteurs, lauréats du Prix Daniel Toscan du Plantier en 2017
« Notre amour du cinéma a grandi dans les salles, mais aussi grâce aux vidéoclubs et aux magazines de cinéma. Très vite, nous avons été fascinés par ceux qui, au carrefour de l’artistique et de l’économique, accompagnent les projets du premier au dernier jour : les producteurs. Peu étaient connus du public, sauf un : Daniel Toscan du Plantier. Le plus médiatique, le plus virevoltant, le plus séduisant. Nous rêvions de croiser Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, François Truffaut ou Jean-Paul Rappeneau, mais surtout, nous rêvions de faire le même métier que lui.
Le rencontrer nous donna le plaisir enfantin de fans face à leur idole, et il ne nous a pas déçus, charmeur et charmant, enthousiaste et enthousiasmant, aussi inspirant que nous l’imaginions. Grâce à lui, nous avons appris à défendre le cinéma hors de nos frontières. Puis nous avons eu la fierté de recevoir le prix qui porte son nom. Nous le remercions à nouveau de nous avoir fait rêver de ce métier, d’avoir aussi bien servi le mythe du producteur et la flamboyance du cinéma français. »
Marie Ange Luciani
Productrice, lauréate du Prix Daniel Toscan du Plantier en 2018
« Le prix qui porte son nom est l'un des seuls à récompenser les producteurs. Daniel Toscan Du Plantier a contribué à rendre notre métier visible, avec goût, élégance et imagination.
Il a donné beaucoup de sa vie à fabriquer des films, voyager avec des films, créer des festivals, célébrer le cinéma. Qu'aurait-il fait face à la crise qui menace aujourd’hui le cinéma ? Je l'imagine au front, du côté des auteurs, toujours.
Il a dit quelque part en parlant de ses choix de production : « Le coup de bourse, on y a renoncé, le coup de foudre, on ne fait plus que ça. »
À nos amours, cher Daniel. »
Toufik Ayadi et Christophe Barral
Producteurs, lauréats du Prix Daniel Toscan du Plantier en 2020
« Le nom de Daniel Toscan du Plantier n’a jamais cessé de sonner à nos oreilles. En ayant passé 12 ans aux côtés de Sylvie Pialat, on ne pouvait qu’entendre parler de lui, ne serait-ce qu’à chaque évocation de Maurice dont il avait été le producteur et le défenseur.
Il incarne une figure positive, celle d’un grand producteur qui croit dans ses réalisateurs et fait bouger les choses. Il a marqué le métier durablement.
Nous avons reçu le Prix Daniel Toscan du Plantier, nous sommes pourtant loin d’avoir sa filmographie. C’est une immense fierté d’associer nos noms au sien, lui qui a fait naître tant de films qui nous ont donné l’envie de faire du cinéma »
Caroline Bonmarchand
Productrice, lauréate du Prix Daniel Toscan du Plantier en 2021
« Venant d’une famille éloignée du milieu du cinéma, la seule incarnation du métier de producteur était pour moi celle de Daniel Toscan du Plantier. Je me rappelle ses interviews à la télévision, son charisme, sa passion pour son métier qu’il abordait toujours avec bonhomie et humour. Comme lui, j’ai fait des études de sciences politiques mais toujours avec le projet de travailler dans le secteur. J’ai eu la chance de le rencontrer après son départ de la Gaumont pour créer sa société de production, Erato Films. Je vivais alors à New York et m’interrogeais sur mon retour en France : il m’a vanté les mérites de l’indépendance, de la liberté, et m’a confortée dans l’idée de créer ma propre société.
Sa définition du cinéma comme « un art populaire et intelligent » m’a toujours parue très inspirante et j’essaye d’en tenir compte dans le choix des films que je défends. Sa fidélité aux cinéastes me laisse penser qu’au-delà de son amour pour les œuvres qu’il a produites, l’amitié qu’il avait pour les artistes y est étroitement liée. Cette valeur est également au cœur de mon travail et de ma vie.
Le Prix Daniel Toscan du Plantier ne pouvait pas porter de meilleur nom pour récompenser un producteur ou une productrice. J’ai été impressionnée lorsque Sylvie Pialat l’a reçu deux années de suite, mais également très émue quand mon amie Marie-Ange Luciani été récompensée. En 2021, alors que nous étions encore à moitié en confinement, j’ai reçu le prix pour Énorme et j’avoue que je ne m’y attendais absolument pas. Je pense que cela s’est vu d’ailleurs… Quand j’ai entendu mon nom, j’ai cru que c’était une blague ! Ce fût une immense joie même si je n’ai pu la partager qu’avec mon mari et mes enfants qui, au bout de cinq minutes, m’ont demandé si on pouvait dîner et passer à autre chose ! Mais les très nombreux messages de soutien que j’ai reçus m’ont beaucoup touchée. Ce prix restera un moment très important pour moi.
La figure de Daniel Toscan du Plantier m’inspire et me rappelle que nous faisons un métier de passion et de liberté, et que nous devons être conscients de cette chance tous les jours. »
Isabelle Partiot-Pieri
Réalisatrice du film Toscan, metteuse en scène et décoratrice d'opéra
« Préparant mon diplôme d’architecture sur un bâtiment mêlant opéra et cinéma, j’ai tiré Daniel par la manche lors d’une émission de télévision pour solliciter un rendez-vous, et il m’a reçue chez Gaumont. Il me revoit non sans surprise à Radio-France apportant les cafés aux chanteurs pour la bande-son de Carmen : « Encore vous ? ». Puis comme assistante déco du Don Giovanni qu’il mettait en scène à Monte-Carlo : « Encore là ? ». Je lui montre comment noter la mise en scène, quand il repousse les feuilles, se cale dans son fauteuil et me dit en tortillant sa moustache : « Moi les papiers c’est pas bien mon truc. La mise en scène, c’est pas mon métier, et c’est pas le vôtre. Voulez-vous être mon assistante ? ». J’ai trouvé ça génial : pas d’expert pour lui casser les pieds. En toute liberté, en toute audace.
Tel qu’en lui-même. Comme dans mon film. »
Alain Sussfeld
Directeur général d’UGC
« J’ai connu Daniel avant qu’il n’arrive chez Gaumont. Il était à Régie Presse, ma femme à France Soir et à Elle, principaux titres de cette régie à l’époque, et mon père chez Gaumont, collaborateur et ami d’Alain Poiré. Il ne nous parlait que de cinéma, sa passion, et de son admiration pour les réalisateurs et les comédiens de cette époque. Ce n’était pas ceux de Gaumont Production dont il avait, comme beaucoup de notre génération, sous-estimé le talent et l’attractivité. Il n’avait jamais imaginé avoir à vivre avec ce monde-là. Mais Nicolas Seydoux et lui ont très vite compris que la pluralité des personnalités allait conforter pour longtemps le leadership de la maison sur la production nationale, que Gérard Oury et Louis de Funès pouvaient cohabiter avec Ettore Scola et François Truffaut, avec Gérard Depardieu et Catherine Deneuve.
Tout le monde connaissait l’humour ravageur de Daniel. Les hasards de la vie et de la production ont fait que nous nous sommes retrouvés associés à Michel Seydoux pour produire Cyrano de Bergerac. À Cannes, après la projection, Daniel s’adresse à Madame Seydoux mère et lui dit : « Adoptez Guy Verrecchia et vous contrôlerez tout le cinéma français ».
Daniel était une personnalité incomparable, qui ne peut avoir de successeur ; espérons qu’il demeure une référence pour les générations d’aujourd’hui. »
Nicolas Brigaud-Robert
Exportateur
« Daniel était un optimiste, un des premiers à nous dire : « Ne vous inquiétez pas, ça va marcher votre affaire. » Comme il le disait dans un grand sourire bienveillant, nous l’avons cru et François Yon et moi avons lancé Films Distribution (devenu Playtime) sous son regard amusé et paternel.
Dans les manifestations internationales, Daniel portait beaucoup d’attention à la délégation artistique, mais appréciait aussi la présence des exportateurs. Il glanait auprès de nous les informations dont il aurait besoin pendant le séjour, prenait le pouls du métier : qui achète en ce moment ? Que pensent les distributeurs locaux de tel réalisateur ou comédien ? Comment le cinéma français résiste-t-il ici ? Ces données nourrissaient des discours fleuves, impressionnants par leur finesse d’analyse alors qu’ils semblaient improvisés.
Comment ne pas évoquer la verve de Daniel, son plaisir face à un auditoire ? Il avait tout d’un homme politique : le charisme, le sens du public, l’immense capacité de séduction... C’est grâce à ce talent qu’Unifrance et l’exportation de films sont sorties de l’obscurité. Il avait compris que l’alliance du strass et d’une puissance commerciale nationale serait le cocktail gagnant pour le cinéma français. Il fallait savoir naviguer dans cet équilibre, et certaines fêtes de « l’époque Toscan » sont indéniablement restées dans les mémoires.
Mais ce serait mal comprendre Daniel que de le croire mondain. C’était un homme pudique, préférant le vouvoiement et la courtoisie à la franche camaraderie. Pour autant, il était capable de spontanéité. Le 10 février au soir, la veille de sa mort, je l’ai croisé dans le lobby de notre hôtel à Berlin, au retour d’un dîner où nous avions fait aboutir une négociation importante. Nous voyant de si bonne humeur, Daniel en conclut que notre petite entreprise ne se débrouillait pas si mal, comme il l’avait prédit. Sans hésiter, il nous entraîna vers le bar et dit au serveur : « Champagne ! Ces messieurs invitent, ils ont plein de choses à célébrer. » Je suis très heureux d’avoir partagé avec lui sa dernière bouteille de champagne. Si j’avais su, on en aurait bu deux. »
Daniela Elstner
Directrice générale d’Unifrance
« Cher Daniel,
Janvier 1996, première édition des Lumières à Paris. Stagiaire chez Unifrance depuis une semaine, je gère la logistique. Émerveillée par la mise en scène de la soirée, j’observe un homme, imposant, le chef d’orchestre, la force invitante. C’était vous, cher Daniel.
Vous nous avez ouvert la voie. Au Japon comme au Mexique, vous aviez le bon mot pour chacun - distributeur, producteur, institutionnel…- le souci permanent de créer des liens entre les artistes et d’emmener, bien au-delà de ses frontières, ce cinéma français que vous aimiez tant.
Vous avez été inspirant, vous avez transmis votre énergie, votre passion, votre amour de l’art à tant de personnes, dans tous les métiers du cinéma ! Je suis l’une d’elles, merci.
Et puis il y a Unifrance. Cette association, vous l’aviez faite vôtre. Vos idées ont circulé dans le monde entier et ont inspiré d’autres pays. Vous avez fait rayonner Unifrance, nous veillons tous les jours à ce que ces lumières-là restent allumées.
Aux yeux du monde, votre héritage n’est pas près de s’éteindre. »