'L'Incroyable Périple de Magellan' est une série documentaire de 4x52’ au format hybride, mêlant documentaire et fiction, témoignages et animation, qui raconte l’histoire de Fernand de Magellan et du premier tour du monde réalisé par voie maritime. La série a été présentée au public et aux professionnels espagnols lors de la deuxième édition de Francia está en pantalla à Madrid début juin.
François Bertrand, producteur du documentaire, co-fondateur et président de CLPB Media Group, et Véronique Commelin, directrice des ventes chez CLPB Rights, nous racontent comment le projet, co-produit avec la Belgique, l’Espagne et le Portugal, a pu voir le jour malgré un contexte difficile lié à la pandémie, et rayonner à l’international.
Unifrance : Comment avez-vous décidé de raconter la fascinante histoire de Magellan ?
François Bertrand : Le projet est venu de l’auteur-réalisateur François De Riberolles, avec qui nous avions déjà produit ensemble "Lune : La Face cachée de la Terre", un film ambitieux coproduit avec la Chine et vendu dans le monde entier. Raconter la vie de Fernand de Magellan et la première circumnavigation de l’histoire, à l’occasion des 500 ans de l’expédition, était un pari irrésistible.
C’était en 2018 et François et moi avons d’abord beaucoup échangé sur la forme que pouvait prendre cette histoire passionnante. Pour raconter l’histoire de Magellan, la principale difficulté était la complexité des moyens à mettre en œuvre pour raconter cette histoire, les batailles, les tempêtes, le tour du monde. Sur le projet "Lune : La Face cachée de la Terre", nous avions travaillé avec Ugo Bienvenu pour l’animation des séquences oniriques sur la lune et nous voulions repartir sur ce principe visuel, mais l’animation coûtait trop cher et nous voulions l’associer avec des prises de vues réelles des endroits clefs de l’expédition (faire le tour de la terre n’était pas un souci en 2018 !). Aussi, nous avons pris la décision avec Ugo de faire de très beaux dessins et de les animer en motion design, selon des principes d’animation simples. Ugo a réuni une équipe de 5 dessinateurs pour le projet.
Quel nouvel angle propose cette série documentaire sur l’histoire de Magellan ? Comment avez-vous abordé le choix du format, l’écriture ?
FB : La question était de savoir comment raconter une histoire qui se déroule sur 3 ans. Nous en avons très vite parlé avec Hélène Coldefy, ancienne directrice de l’unité découverte et connaissance chez ARTE France, qui a rapidement adhéré au projet. Nous avons fait le choix d’une narration feuilletonnante, sur un format série avec l’utilisation d’arches dramatiques propres à la fiction et nous nous sommes engagés avec Arte avec une convention de développement sur un nombre initial de 3 épisodes.
Concernant le récit, des interrogations se sont rapidement présentées : où s’arrête l’histoire ? va-t-on jusqu’au bout de ce tour du monde, sachant que Magellan meurt aux Philippines, avant la fin du périple ? Car en réalité, c’est Juan Sébastien Elcano, second de Magellan, qui ramènera le seul bateau à finir le tour du monde, trois ans plus tard. Raconter tout cela ne tenait pas sur trois épisodes, et finalement Hélène Coldefy nous a donné son accord pour quatre épisodes afin de pouvoir raconter la totalité de la première « circumnavigation » officielle de l’histoire.
À l’époque du développement du projet, il y avait alors de nombreux projets concurrents sur Magellan à l’international, mais finalement peu ont abouti. Financer quelque chose d’aussi ambitieux est difficile, et la pandémie a stoppé de nombreuses productions de cette envergure.
Le choix de construire ce « docu-épique » en 4 épisodes vous a permis d’aborder les multiples facettes de ce récit…
FB : Oui, tout à fait. Car le contexte géopolitique au début du XVIe était assez unique. Le monde était partagé entre portugais et espagnols qui dominaient les mers. Charles Quint, jeune monarque ambitieux, voulait monter sur le trône d’Europe et ses motivations étaient aussi économiques. Il voulait trouver une nouvelle route vers les îles Moluques, où on trouve des clous de girofle, auxquels on attribuait à l’époque de nombreuses vertus. Seulement personne ne savait si ces îles seraient en territoire espagnol ou portugais. Et Magellan, explorateur portugais, a su profiter de ce contexte pour "vendre" son projet au service du royaume ennemi de son pays d’origine.
La chance de cette expédition et pour l’histoire reste la présence à bord, jusqu’au retour en Espagne, d’Antonio Pigafetta, marin et chroniqueur italien, chargé de tenir le journal de bord, qui a fait partie des survivants et a donc pu raconter le tour complet.
Co-produit avec l’Espagne, la Belgique et le Portugal, ce documentaire ambitieux offre des points de vue pluriels sur cette grande histoire. Comment avez-vous fédéré les partenaires autour du projet ?
En signant avec Arte, nous avons pu développer 1000 dessins au lieu des 750 prévus à l’origine, et partir sur un premier budget de 2M€ (500k€ par épisode). Assez vite, les partenaires internationaux se sont intéressés au projet présenté sur les marchés en 2019, mais la crise Covid a été un coup dur. Les deux années qui ont suivi ont été difficiles pour le film, avec notamment des difficultés pour organiser les interviews, les tournages à l’étranger.
Le documentaire adopte un point de vue universel, avec des intervenants également argentins, philippins. On ne pouvait pas se limiter à un point de vue strictement européen. La bataille de Mactan, dans laquelle périt Magellan, en est un bon exemple, puisqu’elle est célébrée sur certaines îles, notamment aux Philippines, symbolisant la résistance à l’envahisseur. Il y a également une polémique sur le fait de savoir qui est le premier à avoir terminé le tour du monde, est-ce Elcano, ou l’esclave de Magellan, Henrique, originaire de Malcca en Malaisie ?
Nous avons été accompagnés par des spécialistes pour organiser le dialogue autour de plusieurs personnages, venant de différents milieux : des historiens de renom bien sûr mais aussi des personnes du milieu de la mer, comme Robin Knox-Johnston (premier navigateur a avoir effectué un tour du monde en solitaire sans escale), ou le cuisinier Olivier Roerllinger pour parler de la valeur de l’épice par exemple.
C’est grâce à notre filiale de distribution CLPB Rights, une équipe de quatre personnes dirigée maintenant par Véronique Commelin, aux préventes et aux coproductions, que nous avons pu financer ce projet d’ampleur.
Outre Arte France sur la France et l’Allemagne, Planète+ s’est engagé en seconde fenêtre France. Nous avons pu compter sur le CNC, la PROCIREP, une aide en région Nouvelle-aAquitaine sur l’animation, la SOFICA Cinémage et 7 pays en pré-achat, parmi lesquels la Suède, le Canada ou la Pologne.
Mais le plus décisif a été le soutien des 3 pays coproducteurs qui ont apporté des financements conséquents: la Belgique (Belgica Films), l’Espagne (Minimal Films) et le Portugal (Serena Film).
Vous avez pu compter sur les synergies entre les différentes branches de CLPB Media qui ont été un atout indéniable…
FB : Il y a eu beaucoup de rebondissements, mais c’est grâce à CLPB Rights, au travail main dans la main avec un distributeur et à une ténacité commune que le projet a pu voir le jour.
Autour du film, nous avions également décidé de développer une exposition immersive, pilotée par Lucid Realities, en coproduction avec le Musée de la Marine à Paris. Ce projet est toujours en cours, l’exposition ouvrira en 2024 à Paris et tournera ensuite dans le monde.
Un roman graphique est également prévu, en co-production avec Denoël. Nous avons longtemps étudié la possibilité d’un jeu vidéo, en coproductions avec Ink Stories aux États-Unis, mais ce projet n’a toujours pas abouti et ceci majoritairement à cause de la pandémie.
Quels sont les principaux atouts du programme pour l’international ?
Véronique Commelin : En premier lieu, la série offre des enjeux narratifs forts et universels : le récit d’un pari fou, une expédition autour du monde, une épopée historique incarnée par un personnage ambitieux, charismatique et ambivalent.
D’autre part, la série bénéficie d’une production value exceptionnelle par la forme (animations et prises de vues réelles en 4K des étapes clefs du périple), un accès à des experts internationaux et une équipe technique et artistique de renom.
D’autre part, pour les quelques diffuseurs intéressés mais limités en termes de programmation, nous avons également travaillé à un unitaire de 55’ se consacrant sur le passage du détroit, le tournant en quelque sorte de l’expédition.
FB : François de Riberolles a été accompagné par une équipe extrêmement talentueuse : Sabine Emiliani, cheffe monteuse (oscarisée pour La Marche de l'empereur), Vincent Mathias, pour la mise en place des interviews (césarisé pour Au revoir là-haut), Nicolas Becker à la musique et au son (oscarisé pour Sound of Metal), et Quentin Sirjacq qui a cosigné la musique.
Nicolas Becker et Quentin Sijacq ont conçu un dispositif original pour la musique en synesthésie avec l’histoire, et ont créé une véritable bibliothèque sonore en amont du montage. Nous avons ensuite effectué les enregistrements acoustiques suite au montage, ce qui a permis une grande efficacité.
Comment L'Incroyable Périple de Magellan a-t-il été accueilli en France et à l’international ?
VC : Les quatre épisodes ont été diffusés sur Arte en novembre 2022, réalisant le record d’audience de l’année sur la chaîne côté documentaires : 3 millions de vue en moins d’une semaine, en linéaire et non linéaire. La série a réalisé près d’1 million de spectateurs par épisode lors de la première diffusion, témoignant d’un fort engagement du public pour les 4 épisodes.
Le succès du programme a été confirmé également par les primo-diffuseurs comme TV5 Québec Canada , la RTBF, la RTS et la RTP. La RTP avait même décidé de présenter la série aux Emmy Awards. En Italie, la Rai qui avait des incertitudes par rapport à l’animation vis-à-vis de leur public a finalement confirmé son engagement grâce aux audiences sur Arte.
FB : Nous avons eu des sélections sur quelques festivals, mais plutôt des festivals dans le domaine de l’exploration. Les séries ont du mal à trouver leur place dans les festivals documentaires.
La présentation à Madrid, lors de Francia esta en pantalla, a permis aux Espagnols et aux professionnels du cinéma de s’apercevoir que le documentaire pouvait avoir un haut niveau de complexité en financement.
Quels sont vos projets ? Pour Magellan et pour CLPB Media de manière générale ?
VC et FB : Pour Magellan, après l’Europe et le Canada, nous espérons de nouvelles ventes, notamment aux Etats-Unis avec qui nous discutons avec plusieurs plateformes spécialisées, et en Australie. Nous attendons aussi début 2024 avec l’ouverture de l’exposition au nouveau Musée de la Marine à Paris et creuser les retombées possibles.
Sinon pour CLPB Media, en dehors de ses activités historiques : spectacle vivant, documentaires, fictions, films immersifs, le prochain grand projet est le lancement d’Unframed Collection, plateforme de distribution d’œuvres immersives. Ce projet est porté par Chloé Jarry et Alexandre Roux de Lucid Realities, internationalement reconnus et présents sur tous les salons de VR. Cette plateforme B2B s’adresse aux lieux culturels au sens large (musées, bibliothèques, salle d’arcade …). L’idée de cette plateforme est d’offrir tous les outils et un catalogue d’œuvres choisies. Elle offrira un player et un controler qui faciliteront la diffusion des expériences dans ces lieux et permettont une remontée de droits. Le lancement du site est prévu courant juillet et déploiement prévu à l’international dernier trimestre 2023. Nous avons eu les soutiens de Europe Creative Média et de la BPI.
La France a cette capacité à agréger, grâce à un système unique, tous ces talents, qui s’exportent énormément. Nous travaillons à renforcer ce secteur et à réduire le clivage entre les différentes formes de création. C’est d’ailleurs cette synergie créative qui caractérise le groupe CLPB Media.