À l’occasion des 150 ans de l’impressionnisme, le documentaire 1874, La naissance de l'impressionnisme revient sur les débuts de ce mouvement fondateur de l’Histoire de l’art. En parallèle, l’expérience immersive "Un soir avec les impressionnistes", présentée au Musée d’Orsay jusqu’au 11 août prochain invite à revivre la toute première exposition de ces jeunes peintres. Stéphane Millière, producteur chez Gedeon Programmes, et Isabelle Graziadey, distributrice du documentaire à l’international chez Terranoa, nous détaillent la genèse et la conception du projet, ainsi que la stratégie d’exploitation 360° pour la distribution à l’international du film et de l’expérience VR.
Unifrance : Comment est né ce projet de documentaire sur le mouvement impressionniste ?
Stéphane Millière : Nous avons eu l’idée de ce documentaire il y a 3 ans, à l’approche de l’anniversaire des 150 ans de la première exposition impressionniste. Nous avons découvert qu’elle avait eu lieu dans l’atelier de Nadar, au 35 boulevard des Capucines, et qu’il n’y avait aucune photo de cette exposition fondatrice qui va donner son nom au mouvement. Ça nous semblait incroyable. Nous travaillons régulièrement sur des restitutions du patrimoine disparu. Nous l’avons fait dans le cadre de plusieurs projets qui ont voyagé à l’international, sur le Château de Versailles, le Vatican ou encore la Sagrada Familia.
Nous nous sommes lancés dans une grande enquête. L’atelier de Nadar avait été détruit en 1889. Nous sommes donc partis à la recherche de toutes les photos, des cadastres, des actes notariés présentant la description des pièces de l’immeuble pour reconstituer par morceaux, au millimètre près, cet atelier sur ses deux étages. Nous sommes arrivés à une représentation du lieu au moment où Nadar était encore là, or il est parti 1871, trois ans avant l’exposition. C’est par la lecture des critiques que nous avons su que le lieu avait été retendu en rouge et qu’il était éclairé par des lampes à gaz, lui permettant d’ouvrir aussi en soirée. Nous avions le catalogue de l’exposition, mais nous savions que Renoir n’avait pas accroché les toiles dans l’ordre du catalogue. Nous sommes donc partis dans une seconde enquête : lire les 400 correspondances des impressionnistes, entre eux ou avec leurs amis, ainsi que les critiques qui décrivaient leur parcours dans l’exposition. Progressivement, nous avons pu raccrocher les tableaux grâce à ces indications.
Comment avez-vous commencé à travailler avec le Musée d’Orsay ?
SM : Nous sommes allés voir le Musée d’Orsay au bout d’un peu plus d’un an et demi de recherches. Ils ont découvert les premières images de l’exposition que nous avions reconstituée en images de synthèse. Ils ont trouvé incroyable ce travail d’enquête et de restitution des lieux et de l’accrochage des tableaux ! Personne n’avait effectué ce travail de fond. C’était exceptionnel d’avoir réussi à gagner leur confiance et de pouvoir continuer le travail avec les deux commissaires de l’exposition Paris 1874 - Inventer l’impressionnisme, Sylvie Patry et Anne Robbins. Nous avons travaillé ensemble à la fois pour la création du documentaire et la création d’une expérience de réalité virtuelle qui permette au visiteur de revivre cette exposition. Nous avons pu la reconstituer en détails, jusqu’à faire varier la lumière pour restituer l’atmosphère de jour ou de nuit.
Nous avions désormais le partenaire, le lieu et le gage scientifique. Nous sommes ensuite allés voir Arte et nous avons immédiatement eu un accord de leur part.
Ce documentaire, l’exposition au Musée d’Orsay et l’expérience de réalité virtuelle Un soir avec les impressionnistes. Paris 1874 forment un dispositif complémentaire. Comment ce dispositif global s’est-il mis en place ?
SM : Cela nous intéressait de créer un écosystème à 360° autour d’un même événement. Cela nous permettait d’avoir un impact médiatique beaucoup plus puissant. C’est ce qu’on aime faire chez Gedeon Programmes, avec Terranoa, notre société de distribution internationale. Nous avions déjà monté un tel dispositif pour Pompéi, qui se déclinait à la fois avec un docu-fiction en coproduction internationale et une exposition au Grand Palais, qui est ensuite partie à l’étranger.
Pour les impressionnistes, nous portons simultanément l’expérience de réalité virtuelle et le documentaire à l’international, aux Etats-Unis, au Japon et en Chine notamment, ce qui nous permet de créer l’événement et de vendre simultanément les deux. Le film est complémentaire de l’expérience de réalité virtuelle car il part du moment de l’exposition et remonte 12 ans plus tôt pour nous montrer comment ces peintres se sont rencontrés, comment on en est arrivés à cette concentration unique de talents. Il y a eu d’autres expositions impressionnistes ensuite, mais c’est la seule et unique fois où tous les peintres ont été réunis : Renoir, Monet, Sisley, Pissarro, Berthe Morisot… ou encore Cézanne qui les a rejoints.
Pourquoi avez-vous choisi le format du docu-fiction ? Qu’est-ce que cela vous a permis ?
SM : On se place à un moment charnière, juste avant les débuts du cinéma, et on n’a donc pas d’images animées et seulement quelques photos. On a donc voulu rester très proches des lettres que les peintres se sont envoyées presque quotidiennement, qui relatent leur état d’esprit, leur état de santé, financier, et parfois des choses intimes. On a aussi travaillé sur le scénario avec les commissaires Sylvie Patry et Anne Robbins.
On ne voulait pas qu’on voie des comédiens lire des lettres, et la fiction s’est donc imposée. Ce qui était intéressant, c’était de s’approcher au plus près de la personnalité des peintres et aussi de laisser la fiction vivre à travers les échanges rapportés dans les lettres.
L’écriture par Hugues Nancy et Julien Johan s’est donc attachée à prendre dans ces correspondances ce qui permettait de faire exister les personnages sur ces douze années que retrace le film. C’était un choix compliqué parce que les docu-fictions peuvent être ratés. Les budgets ne sont pas toujours suffisants pour choisir des acteurs qui ont la capacité de nous emporter dans l’émotion. Mais ici ils ont vraiment quelque chose à voir avec leurs personnages, c’est frappant quand on voit les photos. Ils incarnent les peintres dans leurs personnalités et leurs singularités, et réussissent à transmettre une émotion.
Ciblez-vous un type de public en particulier ?
SM : Les films sur l’art ne sont pas les plus faciles à distribuer, même si on parle ici du mouvement artistique le plus connu au monde. Nous avons pensé qu’en mettant en scène ces jeunes peintres nous pouvions aussi toucher un public plus jeune, et c’est un des points qui a séduit les acheteurs internationaux. Ce n’est pas une histoire documentaire classique mais une histoire incarnée, à la première personne.
En 1874, ce sont des jeunes hommes et jeunes femmes qui ont une trentaine d’années. Douze ans plus tôt, ce sont de jeunes étudiants qui ont envie de s’amuser et étouffent dans les carcans du salon et de la bourgeoisie. Cette histoire montre à quel point il s’agit d’un mouvement de jeunes hommes et femmes rebelles qui se sont battus contre leur temps. On est alors loin de la vision qu’on en a aujourd’hui d’un Monet âgé, portant une longue barbe, qui a connu le succès de son vivant et qui était exposé partout dans le monde.
Quels sont les premiers retours après la diffusion sur Arte ?
SM : Nous avons choisi de laisser le film en replay sur arte.tv et sur la chaîne YouTube d’Arte pendant toute la durée de l’exposition, jusqu’au 11 août. Les retours sont fous, avec une audience cumulée de plus de 1,5 millions de spectateurs dont plus de 300k vues sur YouTube à ce jour. Le documentaire continue d’être visionné toutes les semaines, et les retours du public sont extrêmement positifs.
En quoi ce documentaire peut-il attiser l’intérêt du public international ? A-t-il été pensé pour l’international dès le départ ?
SM : Bien sûr, nous travaillons beaucoup pour l’international de concert avec Terranoa, et d’autant plus quand on parle de l’impressionnisme ! Nous avons été soutenus non seulement par le CNC et la PROCIREP mais aussi par la Région Normandie et la Région Île-de-France, parce qu’il y avait l’ambition de véhiculer la culture française et ce mouvement désormais iconique de la peinture française au plus grand nombre.
Isabelle Graziadey : Nous avons travaillé très en amont, de manière exceptionnellement soudée avec Stéphane pour essayer de compléter ce financement, qui était très ambitieux. Il a été difficile de convaincre les chaînes de rentrer en pré-achat car le film est hybride et très atypique pour des cases 'Arts' assez standard à l’international, se limitant souvent aux biopics d’artistes. L’événementialisation du film coïncidant avec l’anniversaire de la naissance de l’impressionnisme, en avril 1874 a constitué un véritable atout.
Mais le remontage en version 52’ mettant en valeur la facture du film avec ses élégantes séquences de fiction dans des décors d’époque et retraçant le parcours de ce mouvement et de ses acteurs a finalement convaincu. Le travail d’adaptation du 90’ en 52’ a été long et complexe, il fallait trouver une façon de combiner la fiction avec la partie plus historique, permettant à un public non français de comprendre le contexte, tout en s’attachant aux personnages qui s’expriment en français dans les scènes de fiction, et que nous avons choisi de sous-titrer.
C’est après visionnage et avec la couverture médiatique internationale de l’expérience VR que les chaînes ont compris qu’il y avait un événement particulier. C’est aussi au MIPTV, quand nous avons fait notre première projection en avant-première, qu’on a senti qu’il y avait un réel engouement des chaînes, assez épatées par la qualité du film.
Neuf ventes se sont signées suite à cette avant-première, principalement en Europe : à la RTBF, la VRT, la RTVE, la SVT, l’ORF, RSI en Suisse italienne, RTB au Portugal, TV5 Canada, ainsi que les droits d’exploitation cinéma et TV au Brésil. J’attends encore d’autres ventes, notamment je l’espère au Royaume-Uni, où la VR va être déployée.
La complémentarité de l’expérience VR et du documentaire est un véritable atout pour les ventes…
IG : L’exposition qui ouvre à la National Gallery of Art de Washington le 8 septembre va s’accompagner du déploiement de la VR dans trois villes d’Amérique du Nord, en plus d’avant-premières du film à Washington et à New York ! Cette "semaine impressionniste" participe de notre effort marketing ciblé aux États-Unis, pour donner le maximum de visibilité au film sur ce territoire, en lien avec l’Ambassade de France.
Des discussions sont en cours et il y a un réel intérêt pour une diffusion aux États-Unis, de plusieurs partenaires au sein de PBS, qui tentent de trouver une case dans un système de diffusion assez complexe et des cases Arts limitées et très formatées. Nos interlocuteurs sont convaincus de l’écho qu’un tel film pourrait trouver, compte tenu de la notoriété de ce mouvement et de ses artistes aux États-Unis. Car c’est dans ce pays, au tournant du siècle, qu’ils ont acquis une vraie reconnaissance grâce aux riches collectionneurs ouverts à cette avant-garde. Et il n’y a pas un Américain qui ne connaisse pas le nom de Renoir.