Maïa Plissetskaïa a accepté, à 73 ans bientôt, de raconter sa vie devant la caméra de Dominique Delouche. Elle fut l'une des plus grandes danseuses de ce siècle finissant. De la rue Gagarine, à Moscou, devant la maison de son enfance, au studio de danse où elle a décidé, depuis peu, de transmettre son expérience aux jeunes danseurs de l'Opéra de Paris, elle égrène ses souvenirs, dramatiques et heureux, sans nostalgie passéiste. Petite fille douée, elle est déjà petit rat au Bolchoï quand son père est arrêté en 1937 lors des purges staliniennes. Il sera fusillé sans autre forme de procès et sans que sa famille en soit informée. Sa mère sera déportée dans un goulag avec 6.000 autres épouses d'"ennemis du peuple", en fait veuves. Maïa, à qui ses dons exceptionnels valent l'indulgence de ses professeurs malgré quelque indiscipline, devient une étoile du fameux ballet moscovite. Près de l'ancien appartement communautaire du Bolchoï, elle évoque la surveillance du KGB à son endroit jusqu'en 1958, puis son mariage avec Chédrine, homme aimé et soutien sans faille. Pendant des années, le régime lui interdira certains rôles et la sortie d'URSS. Sur la scène du Bolchoï, elle retrouve son partenaire Volodia, se souvient de la crainte qu'inspiraient la loge officielle et ses occupants. Quand elle put enfin sortir de son pays c'est auprès de Béjart, resté son ami, qu'elle apprivoisa la danse contemporaine : elle dansa le Boléro, Isadora et Léda avec Jorge Donn. Et puis aussi, La Rose malade de Roland Petit, et L'Encens de Ruth Saint Denis à l'invitation de Martha Graham ; mais "son" ballet, celui dont elle imposa l'interprétation dans le monde entier, reste Le Lac des Cygnes. Plus qu'un documentaire, c'est le portrait d'une vie de passion et de douleur, et d'une énergie peu commune que nous propose Delouche. A travers ces entretiens, filmés dans l'appartement de la maison coopérative de Treviskaïa où elle emménagea en 1963, les extraits de ses ballets les plus marquants et le témoignage affectueux et admiratif de M. Béjart, nous découvrons celle qui fut pour son public "la bombe incendiaire du Bolchoï". Alliant une technique éblouissante à une intelligence rare du texte musical, autant comédienne que virtuose, Maïa ne cessa de chercher l'émotion dans la perfection. Avide de son art, elle sut insuffler la modernité aux chorégraphies du Bolchoï et mit sa rigueur au service de la danse contemporaine, sans se renier. Celle que Staline aurait pu détruire, qui fut l'amie d'Elsa Triolet, resta en URSS, muant sa rage en force créatrice. C'est ainsi qu'elle put répondre au fonctionnaire russe borné qui s'étonnait que Mitterrand lui ait remis la Légion d'honneur, réservée pensait-il aux résistants : "Mais j'ai résisté toute ma vie !"|#|#
Source : © Fiches du Cinéma