Synopsis
La grand-mère de Jean Eustache fait le récit de son vécu à son petit-fils, qui la filme en continu. La vieille damme est filmée en continu grâce à deux caméras dont l'une prend le relais de l'autre en fin de magasin de film.
Générique
Réalisateur (1)
Production et distribution (1)
- Distribution France : Capricci
Générique détaillé (5)
- Directeur de la photo : Philippe Théaudière
- Monteur : Jean Eustache
- Ingénieur du son : Jean-Pierre Ruh
- Producteur : Jean Eustache
- Participants : Odette Robert, Jean Eustache, Boris Eustache
Mentions techniques
- Type : Long-métrage
- Genre(s) : Documentaire
- Sous-genres : Recherche - Essai
- Thèmes : Souvenir
- Langue de tournage : Français
- Origine : France
- EOF : Non précisé
- Nationalité : 100% français (France)
- Année de production : 1971
- Sortie en France : 22/01/2003
- Durée : 1 h 50 min
- Etat d'avancement : Sorti
- Numéro de visa : 42138
- Visa délivré le : 08/02/1974
- Agrément : Inconnu
- Formats de production : 16 mm
- Type de couleur(s) : Noir & blanc
- Cadre : 1.37
- Format son : Mono
Actualités & distinctions
Sélections (1)
A propos
Jean Eustache a diffusé Numéro Zéro en 1971 chez lui devant huit spectateurs, dont Jean-Marie Straub, mais ne fait rien pour diffuser son film. En 1980, il accepte de diffuser une version courte de ce film, intitulé Odette Robert, à la télévision. Le cinéaste Pedro Costa, qui a entendu parler du film par Jean-Marie Straub, fait en sorte de retrouver et restaurer une version de ce film et permet ainsi une sortie en salle en 2003.
Source : Wikipedia
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Il est des films dont on doit raconter l’histoire avant de parler de ce qu’ils sont. Numéro zéro en fait partie. Comme chez Balzac ou Rivette, tout commence dans une ambiance de complot, de bande. En 1971, Jean Eustache projette un film chez lui, devant huit spectateurs qu’il a choisis. Il l’a intitulé Numéro zéro parce qu’il le considère comme son vrai premier film, et aussi parce qu’il veut qu’on le perçoive comme un objet manufacturé, à vendre au plus offrant. C’est pour ces raisons mais aussi parce qu’il estime qu’il a “raté lamentablement” son film, “pour des raisons intimes” qu’il décide de ne pas chercher à le diffuser, ni dans les salles ni dans les festivals. Il veut que les spectateurs et les acteurs expriment au préalable la volonté de voir le film.
Neuf années passent. En 1980, Eustache accepte, pour des raisons financières, que soit télédiffusée, dans le cadre d’une série produite par l’INA, une version courte de cinquante-quatre minutes, sous le titre d’Odette Robert.
Vingt années passent encore, Numéro zéro est oublié. Or, il se trouve que parmi les huit fameux spectateurs du début se trouvait Jean-Marie Straub… Un jour, en parlant avec Pedro Costa (qui est en train de réaliser un film sur lui), lui revient soudain en mémoire le film d’Eustache. Et Costa ne fait ni une ni deux : il faut retrouver Numéro zéro ! Avec l’aide de Thierry Lounas, il déniche une copie du film, dont il confie la restauration à la Cinémathèque portugaise. Depuis plus de trente ans, donc, huit personnes sont demeurées les seuls spectateurs de Numéro zéro, qui sort aujourd’hui comme d’un tombeau, et qui ne demande qu’à revivre.
D’abord, il y a une image presque carrée (on est frappé tout de suite par ça) qui montre quelques plans de rues de Paris, muets, en noir et blanc. On y voit un petit garçon tenir la main d’une vieille dame qui porte des lunettes aux verres fumés. Pas une dame chic, une dame modeste. Avant d’entrer dans un café, elle lui donne de l’argent, il se sépare d’elle un instant, traverse la rue, entre chez un commerçant, en ressort, la rejoint, elle sourit. Puis, après un long noir, l’image revient, le son fait son apparition.
Un type à cheveux longs, Jean Eustache, lunettes rondes et verres légèrement fumés, lui aussi, dans un appartement de la rue Nollet (une rue parallèle à la rue Truffaut, dans le XVIIe arrondissement de Paris), où il loge avec sa famille, est en train de faire le clap d’un film qui s’appelle Numéro zéro. On comprend très vite le dispositif mis en place par le cinéaste. Deux caméras sont posées l’une à côté de l’autre, une cadrant plus serré que l’autre. Quand le chargeur de pellicule de la première sera vide, la seconde prendra le relais. Et ainsi de suite pendant presque deux heures. On obtiendra ainsi, en collant les bobines les unes à la suite des autres, avec les claps, un film tourné en temps réel.
Que filment-elles, ces caméras ? De face, la vieille dame de tout à l’heure, assise derrière une table sur laquelle elle s’appuie. Derrière elle, une fenêtre fermée ; devant elle, un verre, un bol de glaçons, une bouteille de Ballantine’s et un cendrier. Face à elle, en amorce, dos à la caméra, Jean Eustache lui-même, entouré de tabac (cigares, papier, tabac à rouler) et d’allumettes, un verre lui aussi, et le clap avec sa craie et un chiffon, clap qu’il actionne tous les 90 mètres de pellicule, avant que la bobine ne s’épuise. Cette vieille dame, c’est la grand-mère maternelle d’Eustache, elle a 70 ans et elle s’appelle Odette Robert.
Et Jean Eustache demande à sa grand-mère de raconter sa vie et celle de leur famille. Et c’est ce qu’elle fait pendant presque deux heures. C’est simple comme l’enfance de l’art, et ça en a la force d’émotion et d’expression. Le verbe se fait chair. On pense à ce que, dans La Maman et la Putain, Alexandre dira à Véronika : “Ne parler qu’avec les mots des autres, c’est ce que je voudrais. Ce doit être ça la liberté.” Au travers du récit d’Odette Robert, c’est l’histoire d’une famille de la France profonde, de 1900 à 1970, dans la région de Pessac, près de Bordeaux, qui va défiler devant nos yeux, comme si nous la voyions réellement.
Avec un opérateur et un preneur de son, Eustache réussit à réaliser l’équivalent d’une reconstitution historique à budget énorme. Car Odette Robert est une fameuse conteuse, comme il y en a dans toutes les familles. Elle n’est pas seulement l’objet du film, son principal interprète, mais aussi son scénariste, son décorateur, son costumier, etc. De la vie de sa famille, de ses grands-parents à ses arrière-petits-enfants, Mme Robert retient les moments forts de cette histoire, ceux qui l’ont marquée personnellement, dans un ordre et une construction imposés par le fonctionnement de la mémoire… et le degré d’alcoolisation croissant des protagonistes.
Car la grand-mère n’est pas seule dans cette “mise en scène”. Il y a aussi son petit-fils, dans ce film, dont on n’oublie jamais la présence discrète, qui est un élément très important du dispositif. La grand-mère et le petit-fils picolent, doucement mais sûrement, ensemble. Eustache, parfois, au gré du récit, s’allume un cigare, le mouille régulièrement, allume une cigarette pour sa grand-mère, lui ressert un petit “ouisky”, s’en ressert un. Jusqu’au moment où elle lui demande si elle ne pourrait pas avoir un peu d’eau. Ce qui n’est pas possible, apparemment. Eustache prend-il garde, à la manière d’un psychanalyste, qu’elle ne se déconcentre pas, ou qu’elle se reprenne ? Ou bien plus simplement a-t-il peur de gâcher de la pellicule, puisqu’il est hors de question d’arrêter les caméras ? S’agit-il d’un interrogatoire serré, avec lumière dans les yeux, alcool fort et cigarette du condamné ?
D’où vient cette gêne, soudain, quand le récit d’Odette nous mène à lui, qu’Odette qui élevait le petit Jean, né en 1938 lui rappelle qu’elle a dû se séparer de lui et l’envoyer chez sa mère quand il a commencé à ne plus vouloir travailler à l’école ? Pourquoi, en cet instant, Eustache se trompe-t-il et affiche-t-il soudain le clap à un moment où il ne le fallait pas ? “Qu’est-ce que tu fous ?”, lui lance l’un des deux techniciens ? Oui, qu’est-ce qu’il fout ?
Ou plutôt : que veut-il lui faire dire, à sa grand-mère ? Que veut-il savoir qu’il ne saurait déjà ? Elle ne raconte quasiment que des choses tristes, Odette, même si, parfois, elle rigole, surtout quand elle parle de son mari (et pourtant il n’y a pas de quoi). Et les deuils défilent, une histoire de France officieuse mais bien réelle, celle des épidémies de diphtérie, de la syphilis, des avortements ratés, des maladies infantiles, des maris infidèles et des belles-mères sadiques… L’histoire de la famille, des familles, se substitue peu à peu à la grande Histoire. Et si nous rions nous aussi parfois, c’est pour ne pas pleurer. On repense à Pialat…
Ce qu’Eustache ne parvient pas à lui faire dire, à Odette, c’est peut-être un secret, ou un petit quelque chose qui serait beaucoup pour lui, le chaînon manquant qui lui permettrait de comprendre d’où vient cette vieille tristesse qu’il a au fond de lui, “Monsieur Eustache”, comme elle l’appelle… C’est peut-être ça, “l’échec intime” de ce film qui était mort-né. Mais on le savait déjà : des échecs intimes naissent parfois les plus belles œuvres.
© Jean-Baptiste Morain, Les Inrocks, 2003