"Si le cinéma montre, comme on le dit "la mort au travail", il est tout autant capable de réveiller les morts à la vie : de faire renaître des cendres leurs voix éteintes. Mes films ont toujours eu aussi un rapport à la voix humaine et au langage en général. Or, Rimbaud, pour moi, est celui qui est allé le plus loin au niveau du langage, avec sa voix unique et "absolument moderne". Comment alors raconter, avec les moyens du cinéma documentaire, la vie d'un homme mort il y a cent ans ? Pour faire voir la vie de Rimbaud, il faudrait donc revenir sur ses lieux, parler avec des gens qui l'ont connu, utiliser des documents déjà filmés par d'autres, etc. Seulement, les témoins de sa vie sont morts eux aussi, et le cinéma n'existait pas encore. Par contre, tous ceux qui l'ont bien connu ont laissé des textes sur lui, des souvenirs, en ont parlé à des tierces personnes, ont répondu à des questions qu'on leur a posées plus tard, quand Rimbaud était célèbre et qu'on voulait mieux le connaître pour pouvoir écrire les premières biographies. Donc, le plus simple aujourd'hui, pour raconter cette vie, c'est de prendre des acteurs qui représentent les personnes absentes et de filmer avec eux des entretiens "fictifs" avec, au centre, cette question lancinante qui reviendra toujours : pourquoi a-t-il abandonné la poésie ? Rimbaud est le synonime même du poète, le poète du lyrisme sauvage et de l'échec mortel, celui qui représente mieux que personne tous les désirs et tours les rêve de l'adolescence, mais aussi ses illusions perdues et ses espoirs brisés.